Jean-Luc Blanchet

Triste beauté
Marc Desgrandchamps

Que reste-t-il quand tout s’efface ?
Ce pourrait être la question posée par Jean-Luc Blanchet, question qui a pris dans ses œuvres récentes la densité d’un visage ou d’un fantôme. C’est une question qui se retrouve dans la vie quotidienne, à l’air des communications immatérielles, quand les mots parfois profonds des légers sms sont susceptibles de disparaître à tout instant.

Que reste-t-il alors sinon l’amertume des sympathies interrompues ?

Autrefois les lettres se brûlaient, aujourd’hui d’un déclic elles s’effacent. Il reste la mémoire, la mémoire éternelle, mais fatiguée de porter en elle tant d’images de douceur et fureur réunies. « No more images », ce pourrait être la maxime de notre volonté, et tout s’apaiserait, nous serions alléger de ce monde et de ses représentations.

Jean-Luc Blanchet est de ceux qui pensent que les choses vont aller de plus en plus mal. C’est un pessimiste. Il est vrai que les informations quotidiennes ne lui donnent pas toujours tort. Peut-être que le pire est devant nous. Cependant du chaos à venir il n’exclut pas que puisse naître une nouvelle Arcadie. Nous vivons ainsi, tendus entre le désert et la source, entre ce qui arrête ou donne la force de continuer. Les représentations dissoutes de ces tableaux ont la triste beauté d’une figure perdue, perdue ou brouillée par ce qui empêche de la voir et au final de la saisir.

Que manifeste cet empêchement ?

Pour Jean-Luc Blanchet il ne s’agit pas tant d’une gêne que d’un passage à l’acte. Le brouillage serait un état de la perception alors que l’effacement est une décision. Cependant il serait erroné de dire qu’il s’agit d’une décision iconoclaste, car ici le peintre n’agit pas par haine des images. Une grande peinture s’intitule « Amour (grand nettoyage à la serpillère) », ironiquement elle contient en son titre toute l’ambivalence de ce sentiment. De ce qui a été demeurent quelques traces, quelques ombres. Ce n’est pas le néant, et il apparaît toujours quelque chose plutôt que rien à la surface de ces tableaux. C’est là aussi toute leur ambivalence, à la fois lieu d’affirmation, une madone, des hommes politiques, wall street, une famille heureuse, et de destruction par l’effacement de ces mêmes représentations. La disparition n’est pas totale et la toile semble émettre quelques signaux, à la manière de ces corps célestes dont la lumière ténue nous parvient au bout de milliers d’années. Ainsi l’aura des figures se maintient par delà leur destruction. Il me plait d’imaginer que dans un futur incertain ces peintures seront devenues comme des traces, reliquaires fragiles mais immarcescibles des images d’un monde perdu, le nôtre.