COUP DE BALAI
La discussion allait bon train. Le sujet : qui allait prendre la gouvernance et comment.
Entre deux coups de balai, il entendit des bribes de conversation :
- « Sait-on pourquoi les gens ne se présentent pas ? », demanda une voix.
- « Il y a un problème de valorisation de l’engagement et donc un phénomène d’engagement partiel et d’élitisme démocratique. », répondit une autre voix qui était vachement calée en concepts.
- « Je pense que la possibilité de ne pas être élu peut en refroidir certains. », renchérit une troisième voix qui commençait à comprendre les règles du jeu, mais préférait ne pas répondre directement.
- « Il y a la peur d’être viré, mais la peur d’être élu aussi. », reprit la deuxième voix qui devait se dire : « mais pourquoi se présenter alors … ? ». Puis après un moment : « Cela aboutit à la tour de Pise ». Suivi un blanc, peut-être parce que personne ne voyait le rapport. La voix ajouta quand même : « Et un collège vacataire permanent avec tous les adhérents ? » Là il lui a semblé que le blanc devenait quasi laiteux, même à travers la porte. Peut-être était-ce l’oxymore « vacataire permanent », ou le concept du collège composé de tous ceux qui devaient être représentés ? Plus la discussion avançait, plus ils repoussaient les limites du possible et du rationnel.
- « Il y a des personnes qui ne me conviennent pas et je préfère bloquer que de les élire. », dit finalement une nouvelle voix, qui espérait remonter le niveau.
En somme, ils se demandaient pourquoi personne ne voulait donner de son temps, gérer des tensions, avoir des responsabilités, prendre des décisions, mais surtout sans diriger, le tout bénévolement.
Les laissant chercher d’autres solutions, il s’éloigna, suivi par un chaton. Balayer ce secteur plus longtemps pourrait passer pour louche, même aux yeux des protagonistes de cette discussion surréaliste. Et puis le chaton commençait à s’en prendre à son balai.
Ce n’étaient pas de mauvais hommes, ni de mauvaises femmes. Ils travaillaient dur dans l’intérêt de l’humanité. Terry Pratchett lui revint d’un coup : « Mais il est possible, à la longue, de contracter certaines habitudes de pensée dangereuses. Par exemple que, même si toutes les entreprises importantes ont besoin d’une organisation minutieuse, c’est l’organisation qu’il faut organiser plutôt que l’entreprise. ». Ceux qu’il avait croisés dans son ménage écoutaient toujours quand on parlait. Elles parlaient beaucoup aussi. Et plus elles parlaient, plus leurs décisions se rapprochaient du consensus, et moins chacune avait de responsabilités. Alors c’était ça, le collectif idéal ?!
Sans s’arrêter de balayer, il se questionna sur le temps qu’on pouvait passer avec des discussions situées dans de telles sphères de pensées. En ramassant un petit tas de poussière il se demanda si on pouvait tenir longtemps sans réelle gouvernance. Il rangea son balai en se demandant s’ils n’allaient pas finalement y arriver, à créer un modèle innovant. Il referma la porte derrière lui, et se rendit compte qu’il ne savait même pas ce qu’était cette foutue Friche Lamartine. « Et ben merde, ils parlent plus qu’ils balayent en tout cas », dit-il tout haut.
Il ne sut jamais qu’ils avaient fini par trouver la solution, faite de bouts de papiers et de non candidats, preuve que l’absurde peut déboucher sur du sens, ou que le rien n’est rien sans un quelque chose pour le définir. Foi de balayeur !
JD CHAILLOU, membre du collège décisionnaire Lamartine 2016 et 2017
[ Les éditos de MadeInLamartine sont chaque fois rédigés par des plumes différentes, ce sont des interprétations subjectives d’usagers de la Friche Lamartine. ]