MADEINMAI

Portail Friche_dehors dedans

PASSE-MURAILLE

 

A Clémentine Cadoret, qui a peint le rideau de fer de ce qui se cachait derrière.

Un matin, en arrivant à la friche, je découvre le rideau de fer qui sépare le dedans du dehors de la friche repeint d’une entrée en trompe-l’oeil, qui donne à voir ce que le rideau cache : le mur végétal d’Olivier Soubeyrand, qui habite le hall intérieur de la friche, y transparaît du dehors, comme affranchi du rideau de fer.

Un jardin, surtout intérieur, c’est toujours un dehors : un microcosme, qui plie le monde en son sein. Un mur végétal, c’est un jardin à la verticale : un dehors où nul ne pénètre. Comme un miroir posé devant le regard, il met en perspective le dehors, depuis le dedans d’où il se tient, sans plus de possibilité que celui qui le regarde y pénètre.

Pendant la nuit, par la grâce d’un alignement, l’être au-dehors du jardin vertical a rejoint l’être au-dehors du trompe-l’œil, double trouée dans le dedans de la vie ordinaire.

L’art toujours cherche le dehors : c’est à cela que se consacrent inlassablement ses travailleurs, à percer le dedans de ce qui est déjà-là et se tient pour donné, dans un redoublement de l’être où se cache, derrière le fait, le déjà-dit. Contre l’institué, ce qui littéralement se-tient-deux-fois-dedans, le redoublement du dehors, inaccessible autrement ; de ce chemin au dehors, peu reviennent les mains pleines. Sur le chemin du retour, ils rencontrent le rideau de fer qui sépare le dehors du dedans. Contre la simplicité administrative d’un dict qui sépare, le dict du poète échoue dans un naufrage. Le bras tombe, la main est vide : eux, les navigateurs de l’abyme, qui connaissent les secrets de l’interstice, ne savent pas penser autrement qu’en-dedans le dehors, qu’au-dehors le dedans. Drôles d’oiseaux, voués à se tenir sur le seuil, dans l’attente d’un prochain départ, ils semblent que leurs ailes ne leur servent plus qu’à tenir à l’équilibre.

A Lamartine, notre rideau de fer est devenu un portail. Pareils aux stoïciens, qui se tenaient sous un portique, nous nous tenons debout sur son seuil, le jour comme la nuit, à attendre le passe-muraille.

 

Jules Desgoutte, Collectif ABI/ABO [art be in / art be out]